télévision de rattrapage Scholè Marketing

Regarder sur Internet le dernier épisode de sa série favorite parce que l’on a raté sa diffusion à la télévision est aujourd’hui banal. Depuis quelques années, les services de télévision de rattrapage (TVR), traduction de l’anglicisme « Catch-up TV », permettent aux téléspectateurs d’accéder gratuitement et à toute heure à la plupart des contenus diffusés par les chaînes de télévision, ce pendant un temps limité. En France, c’est plus de la moitié des internautes qui déclare regarder des programmes TV de cette manière. Une tendance lourde donc. Mais quel est l’impact réel de la télévision de rattrapage sur le marché audiovisuel ?

Pour l’apprécier, deux aspects méritent un examen attentif. Il faut d’abord se pencher sur l’effet de la TVR sur la manière de consommer la télévision. Car les services de rattrapage donnent la possibilité au téléspectateur de se concocter une télévision sur mesure, libérée des contraintes imposées par les grilles de programmation des chaînes. Bref, un changement radical de la manière de consommer la télévision. C’est en tout cas ce que professait certains observateurs dès l’apparition de la télévision de rattrapage, à l’instar du journal Le Monde en 2007 : « Bientôt donc, plus de chaînes de télévision, mais un immense catalogue d’émissions, de séries, de films, de spectacles et de documentaires que l’on consommera via sa prise téléphonique ou son câble optique, à la carte. » . Allons-nous donc assister à l’avènement de la télévision à la demande ? Et donc à la fin de l’hégémonie des chaînes de télévision traditionnelles ?

Une autre interrogation porte sur l’impact de ce nouveau service sur l’économie des chaînes. Car ces dernières monétisent l’audience de leurs services de rattrapage en intégrant de la publicité aux contenus diffusés, à l’instar de la télévision classique. En revanche, les tarifs publicitaires en télévision de rattrapage sont bien plus élevés que ceux de la télévision traditionnelle, ce que les régies publicitaires justifient en s’appuyant sur une plus grande efficacité de la publicité sur les services de rattrapage. Il s’agit donc d’une manne publicitaire appréciable pour les chaînes de télévision. D’autant qu’elles évoluent dans un contexte difficile : un marché publicitaire morose marqué la crise économique et une situation concurrentielle qui s’intensifie avec la montée en puissance des chaînes de la TNT et de l’IP TV. En somme, les revenus de la télévision de rattrapage pourraient-ils permettre aux chaînes de redorer leur bilan ?

Une offre très développée

Aujourd’hui la majorité des chaînes de télévision, qu’elles soient privées ou publiques, dispose d’un service de télévision de rattrapage. La mise à disposition des programmes se fait généralement dans un délai très court (1 à 2 heures après la diffusion antenne) et pour une durée moyenne de 7 jours. Notons qu’à l’exception des plateformes des chaînes à péage (ex : Canal+ à la demande), les offres de rattrapage excluent les films de cinéma pour des raisons de droits d’exploitation. Les plus importants services de rattrapage sont américains, au premier rang desquels figure la plateforme de la Fox qui attire 58 millions de visiteurs uniques chaque mois. En Europe, les plus gros services peuvent réunir une dizaine de millions de visiteurs uniques chaque mois : ZDF (12,5 M), ProSiebenSat1 (10,2 M), BBC (9,8 M), France Télévision (9 M), etc.

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Source : Scholè Marketing

La télévision de rattrapage est d’abord apparue sur les sites Internet des chaînes. En France, Arte et France 5 ont été les pionniers de la TVR en lançant leurs services respectifs en 2007, rapidement suivis par M6, puis TF1. Aujourd’hui encore, la consommation télévisuelle en rattrapage se fait en majorité sur Internet à partir d’un ordinateur. Mais il est également possible de regarder des programmes TV à la demande sur le téléviseur. Car depuis quelques années les services de TVR des chaînes sont proposés par les fournisseurs d’accès à Internet qui en font un argument de vente de leurs offres multiservices (ou multiplay, incluant accès Internet, téléphonie, télévision, etc.). Dans ce domaine, Free dispose de l’offre la plus riche du marché, avec près de 33 services de TVR disponibles sur sa plateforme Freebox Replay. Enfin, les supports mobiles ne sont pas en reste : le consommateur peut regarder des programmes TV à la demande sur un smartphone ou une tablette en téléchargeant les applications audiovisuelles des chaînes sur les magasins d’applications en ligne. Toutefois, si une connexion wifi permet d’accéder aux vidéos sans problème, le débit des réseaux 3G est encore insuffisant pour assurer une bonne qualité de visionnage en mobilité. Une limite qui devrait être dépassée avec le déploiement à venir des réseaux mobiles de quatrième génération (4G) dont les débits sont bien supérieurs.

La banalisation de la télévision de rattrapage

Avec une offre très riche donc, la télévision de rattrapage rencontre un succès croissant partout dans le monde. En 2010, le taux de pénétration moyen calculé sur les marchés américains, allemands, britannique et français atteint 33% de la population. Pour la France, l’enquête annuelle de Scholè Marketing sur les pratiques numériques des Français montre que plus de la moitié des internautes visionnent des programmes TV en différé à raison de 7 sessions par mois en moyenne. Et 25% le font à un rythme hebdomadaire ou quotidien.

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Source : Scholè Marketing

A l’instar de la vidéo en ligne, l’utilisation de la TVR est particulièrement forte chez les jeunes : elle est pratiquée par 65% des 15-24 ans contre 45% des 50-64 ans et 37% des 65 ans et plus.

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Source : Scholè Marketing

Autre constat, la télévision de rattrapage reproduit largement les équilibres existants dans la consommation de télévision linéaire : les services de TVR les plus populaires sont ceux des chaînes nationales à grande écoute, et les contenus les plus consommés en rattrapage sont ceux qui enregistrent les plus fortes audiences en télévision traditionnelle. Sans surprise, les séries américaines arrivent en tête des programmes les plus regardés en rattrapage, citées par 38% des utilisateurs de TVR.

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Source : Scholè Marketing

Néanmoins, le résultat le plus intéressant de l’étude reste que la télévision de rattrapage est consommée en complément de la télévision classique, sans compromettre l’audience linéaire. Car les usagers de la télévision de rattrapage se révèlent être également de gros consommateurs de télévision traditionnelle, avec une durée d’écoute individuelle supérieure à la moyenne des internautes. Autrement dit, l’audience des services de rattrapage, si elle est importante, n’empiète pas sur celle de la télévision traditionnelle et peut même la renforcer. En clair, on continue à regarder la télévision classique, mais on regarde également les programmes ratés via la télévision de rattrapage.

La télévision de rattrapage a donc rencontré un succès d’audience considérable et s’est inscrite durablement dans les habitudes de consommation audiovisuelle. Une audience que les éditeurs des services mettent à profit pour monétiser au maximum leurs contenus.

Un modèle publicitaire

La plupart des services de rattrapage intègrent de la publicité sur leurs plateformes. Si plusieurs formats publicitaires coexistent, le format vidéo – spot publicitaire inséré avant (pre-roll), pendant (mid-roll) ou après la vidéo (post-roll) – est le plus demandé par les annonceurs et représente l’essentiel des recettes publicitaires.

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Source : Scholè Marketing

Les services de TVR tarifient généralement leurs espaces publicitaires au « coût pour mille » (ou CPM), soit le prix payé par l’annonceur pour 1000 affichages de son message publicitaire. En France, le CPM net, c’est-à-dire calculé après déduction des importantes remises accordées par les régies, évolue en moyenne entre 20 et 30 €. Soit un prix 4 à 5 fois supérieur à celui pratiqué en télévision linéaire !

Pour justifier un tel écart, les régies invoquent une meilleure efficacité publicitaire en TVR par rapport à la télévision traditionnelle. En premier lieu, on serait beaucoup plus attentif à la publicité lorsque l’on regarde un programme en rattrapage que sur la télévision classique. La publicité en TVR permettrait aussi un meilleur ciblage. Et l’exposition à de multiples écrans favoriserait la mémorisation du message publicitaire. Ainsi, M6 annonçait dans un communiqué de presse datant de 2009 un taux de mémorisation de 29,4% pour son service M6 Replay contre un taux de 17,2% sur les antennes du groupe. Une plus grande efficacité donc, qui a rapidement suscité une forte demande chez les annonceurs, de sorte que le marché a connu un véritable décollage ces dernières années. Ainsi, en prenant en compte les seuls marchés américains, allemands, britanniques et français, le chiffre d’affaires publicitaire de la télévision de rattrapage est estimé à environ 471 M€ en 2010. Selon nos estimations, le marché pourrait quasiment doubler d’ici 2015, porté par la généralisation de l’accès Internet haut-débit et la consommation croissante de vidéos en ligne.

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Source : Scholè Marketing

La télévision de rattrapage peut donc se prévaloir d’un bilan très positif avec une adoption massive chez le consommateur et des revenus significatifs appelés à progresser. Pour autant, assiste-t-on à une véritable révolution susceptible d’impacter durablement le secteur audiovisuel ?

Un impact très limité sur le paysage audiovisuel

On l’a vu, la télévision de rattrapage a séduit une part importante des téléspectateurs qui plébiscitent la facilité d’accéder au programme leur choix à n’importe quel moment. Dès lors, sommes-nous réellement passés à une consommation audiovisuelle à la carte ? D’après les mesures d’audience, on est encore très loin. Car malgré le développement des nouveaux services audiovisuels (vidéo en ligne, télévision de rattrapage, vidéo à la demande), la consommation média reste encore largement orientée sur un mode linéaire, dominé par la télévision. Ainsi, avec environ 25 mn par jour en avril 2011, la durée d’écoute individuelle moyenne de la vidéo en ligne par vidéonaute ne représente que 11% de celle de la télévision traditionnelle (3h45mn).

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Source : Scholè Marketing

En conséquence, même si les services de TVR proposent des tarifs publicitaires plus élevés qu’en télévision, les recettes dégagées par la télévision de rattrapage sont tout à fait marginale par rapport au chiffre d’affaires publicitaire en télévision. A titre de comparaison, en 2010, le marché publicitaire de la TVR atteignait 470 millions d’euros, soit un montant 100 fois inférieur à celui de la télévision traditionnelle. Bref, il n’y a pas là de quoi bouleverser l’économie des chaînes.

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Source : Scholè Marketing

Reste néanmoins l’inconnue de la télévision connectée : parce qu’elle permettra l’accès à tous les contenus du web, elle accélèrera sans doute le développement de la consommation audiovisuelle à la demande ; ce qui profitera à la télévision de rattrapage qui constitue d’ores et déjà le premier service utilisé sur les téléviseurs connectés.

Au final, si elle ne constitue pas une opportunité certaine en termes de marché, la télévision de rattrapage présente néanmoins plusieurs avantages pour les chaînes de télévision. Elle leur permet de maintenir un lien fort avec le téléspectateur, contribue à renforcer leur visibilité dans l’environnement des services audiovisuels en ligne et peut même accroître leur audience. Pour le consommateur, il s’agit d’un grand bon en avant qui renvoie le magnétoscope à l’âge de pierre. La télévision de rattrapage fait dorénavant partie des services que les chaînes se doivent de proposer, à l’instar d’un site Internet au début des années 2000. En somme, si elle n’est pas forcément très profitable, la télévision de rattrapage s’est néanmoins rendue indispensable.

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